“Soit sage o ma douleur, et tiens toi plus tranquille” Par le professeur Didier Raoult
« Soit sage o ma douleur, et tiens toi plus tranquille » (Baudelaire)
Depuis quelques années, la lutte contre la douleur est devenue une priorité de santé publique. Ainsi, le serment d’Hippocrate a-t-il été modifié pour y introduire la lutte contre la douleur. Didier Raoult, professeur de microbiologie à la faculté de biologie de Marseille fait partie de ceux qui alertent sur les possibles dérives.
L’idée initiale de calmer des douleurs brutales — pour les fractures par exemple, ou des douleurs insupportables de type neurologique, est parfaitement justifiée. Elle est raisonnable et a existé avant la mise en place des différents plans anti douleurs. En revanche, l’idée que toute douleur est insupportable et doit être prévenue a des effets pervers considérables. Tout d’abord sur la mortalité, comme le rapporte un article du New England Journal of Medecine (1) à cause de l’usage immodéré — notamment de façon parfaitement légale — de drogues dures aux dérivés de l’opium. Les centres antidouleurs ont été mis en place et les drogues dures, dérivées de l’opium, sont distribuées de manière très décomplexée, on va même jusqu’à utiliser des produits créés pour les anesthésies générales. Cette véritable épidémie se développe d’autant plus, que le niveau de satisfaction des patients quant à la prise en charge de leur douleur devient un élément de financement important des hôpitaux américains. Or la douleur est un symptôme, l’effacer artificiellement peut masquer le diagnostic et retarder le traitement efficace. Ceci a par ailleurs un autre effet extrêmement délétère, le niveau de douleur que l’on est capable de surmonter est subjectif. Si on ne peut plus supporter la moindre douleur, — actuellement on fait des anesthésies locales aux enfants avant un vaccin ou une prise de sang — , le seuil de tolérance à la douleur va diminuer, et toute douleur deviendra rapidement insupportable. Nous sommes en train d’assister à une épidémie de syndromes douloureux tels que la pseudo épidémie de maladie de Lyme. A l’inverse, les traitements placebo qui soulagent sans contenir de produits actifs, probablement aussi les thérapeutiques alternatives telles que la sophrologie, l’hypnose et vraisemblablement d’autres traitements aux mécanismes mal connus, sont préférables à l’usage de drogues dures.
La surestimation de la sensation douloureuse entraine un renforcement de la sensation de douleur. La négligence, ou la volonté de négliger la douleur, comme le suggère Baudelaire, diminue la douleur. Certes, nous sommes plus à l’époque de Sparte ou l’éducation empêchait de se plaindre, quelque soit sa douleur, mais nous avons basculé dans une époque où la moindre douleur banale devient l’objet d’une surenchère thérapeutique, qui met à terme la population en danger, en la rendant dépendante de drogues dures, toxiques et addictives. En prime, cela empêche si la volonté ne suffit pas, le contrôle des douleurs banales par des traitements sans danger.
Didier Raoult dirige l’IHU Méditerranée Infection, le plus grand centre de recherche hospitalo-universitaire consacré aux infections. Spécialiste des virus et les bactéries – plus de 3 000 de ces bestioles sont enfermées dans son laboratoire de haute sécurité à la faculté de la Timone à Marseille, ce microbiologiste a identifié 400 microbes, soit 20% de tous ceux connus chez l’homme. Il fait partie des 100 scientifiques considérés comme les plus influents au monde.
(1) Murthy VH. Ending the opioid Epidemic – Call to action. New England J Med 2016; Dec 22; 375(25) : 2413-2415
Photo de Christopher Cambel.